À la recherche de la cerise rouge

- alice
- 31 Octobre 2018
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Avez-vous déjà vu un panier de cerise de café bien rouges? Ça donne vraiment envie!
Et quand on est en recherche de qualité, on s'imagine déjà le potentiel en tasse.

Cerises mûres de café robusta
De fait, je ne sais combien de fois j'ai entendu ou lu que les cerises de café devaient être cueillies à pleine maturite, du rouge brillant au rouge foncé pourpre.

Tri des cerises de café arabica, Sipi, Ouganda
Les fruits immatures (vert, jaune, orange) et trop mûrs (fruits plus légers, de rouge foncé à noir) doivent être laissés à part.
Pourquoi?
Parce qu'ils seront traités comme des rejets lors du processus post-récolte. Ils représentent donc une perte pour les producteurs.

Rejet des grains flotteurs
Chaque cerise récoltée trop tôt est une cerise potentiellement mûre à laquelle on n'a pas laissé assez de temps. Un agriculteur pourrait facilement doubler sa productivité si seules les cerises mûres étaient récoltées.

Rejet des grains flotteurs
Par ailleurs, ces cerises immatures et trop mûres affecteront la torréfaction et le goût final.
Clairement donc, elles devraient être laissées de côté.
Une équation si simple, une évidence pour les professionnels du café de spécialité.
C'est pourtant loin d'être facile. Cela ressemble parfois même à un combat de David contre Goliath.
C'est ce que j'ai moi-même réalisé après avoir visité différentes plantations et discuté avec les producteurs ; après avoir observé aussi la quantité de cerises qui flottaient et devaient être séparées avant et après le dépulpage (cerises rejetées par la machine).

Flotteurs avant dépulpage
Combien de grains flotteurs ayant passé les mailles des filets précédents seront encore perdus suite au lavage des grains.
Combien faudra-t-il ensuite séparer manuellement pendant le processus de séchage, puis grâce à un séparateur de couleur et de densité.
Au total, il peut facilement représenter un tiers du volume total, parfois même plus.
Les producteurs qui accordent une attention particulière à la qualité essaient de former leur personnel à ne cueillir que les fruits mûrs, un processus long qui demande beaucoup de patience.
Stephan Katongole est l'un d'entre eux. Il produit du robusta lavé de spécialité dans la région de Sembabule, district de Masaka en Ouganda. Il a besoin de cueilleurs pour la récolte et sa ferme est connue dans la région comme "le lieu qui ne paie que les cerises rouges".

Stephan Katongole, coffeeyouknow, Sembabule, Uganda
Ce n'est pas une tâche facile, car la plupart des récolteurs n'ont aucune idée de ce qu'on fait ensuite des cerises du café.
Eh oui, ça semble incroyable... mais c'est pourtant la triste réalité. Les récolteurs ne savent pas comment est produit le café. La plupart du temps, ils n'en boivent pas.
La première étape consiste donc à leur expliquer le processus et les raisons pour lesquelles la sélection est cruciale pour la qualité. C'est ce que Stephan tente d'expliquer à ses employés. Il leur fait également mâcher les cerises de café à différents états de maturité pour leur faire sentir la différence de goût. Ils se rendent compte par eux même que la cerise bien rouge est beaucoup plus sucrée et plus savoureuse que la verte ou la noire.
Alors ils commencent à comprendre...
Cueillir uniquement des cerises mûres nécessite toutefois plus de temps que tout récolter d'un seul coup. Il faut en effet passer plusieurs fois sur le même arbre pendant la récolte car les fruits ne sont jamais mûrs au même moment.

Arbre de café robusta, Sembabule, Ouganda
Même sur une même branche, les fruits sont à différents degrés de maturité. Le travail de récolte est donc plus méticuleux, plus lent et plus long.
Stephan compense le temps et l'attention supplémentaires apportés en payant par panier le double du prix normal.

Récolte sélective, Sembabule, Ouganda
Il explique également que cette cueillette sélective donne un travail à ses employés pendant toute la période de récolte et pas seulement au début. A long terme, c'est donc mieux pour tout le monde.
Mais il est en concurrence avec de grandes compagnies car toute la région vit de la production de café.
Des grandes compagnies qui achètent des cerises à des producteurs ou les embauchent à travailler sur leur ferme moyennant une rémunération limitée.
Des grandes compagnies qui se concentrent sur le volume plutôt que sur la qualité et qui se soucient peu du degré de maturité des cerises.
Pourquoi devraient-elles s'en préoccuper après tout? Elles ont probablement les meilleures machines pour préparer et classer les grains de café. Elles seront donc en mesure de les vendre ce café sur n’importe quel marché.
C'est un vrai problème pour les petits producteurs qui travaillent dans la même région et souhaitent mettre l’accent sur la qualité. En n'achetant que les cerises mûres, ils se retrouvent en concurrence directe avec ces grandes compagnies. Même s'ils sont disposés à payer un meilleur prix, les cueilleurs préfèreront souvent obtenir plus rapidement de l'argent pour des cerises non sélectionnés.

Panier de cerises non sélectionnées
Et c'est ainsi qu'une simple différence de couleur devient un véritable casse-tête chinois.
Et si les principales parties prenantes n’ont aucun intérêt à modifier leurs pratiques, à éduquer leurs travailleurs pour appliquer une meilleure sélection, elles ne peuvent en vouloir qu'à elles-mêmes pour le manque de productivité et de qualité.
Mais les plus lourdes conséquences seront assurément supportés par les petits producteurs.